Le fondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, est décédé à Garches en région parisienne, dans un établissement où il avait été admis il y a plusieurs semaines, a fait savoir sa famille à l'AFP, ce mardi 7 janvier 2025. Un communiqué de sa famille a indiqué qu'il était entouré des siens au moment de son décès. Jean-Marie Le Pen avait cédé la présidence du FN en 2011 à sa fille Marine, et avait été exclu du parti en août 2015, officiellement à cause de ses prises de position sur le régime de Vichy et sur la Shoah. Il en était resté président d’honneur jusqu'en mars 2018.

S’il est une valeur que le Front national porte au pinacle c’est bien celle de la famille. Et c’est sur ce modèle que Jean-Marie Le Pen a construit son parti. Lui, le pater familias et ses enfants qui œuvrent à la prospérité du FN. Et gare à ceux qui auraient des velléités d’autonomie ; les sécessionnistes sont châtiés, on ne transige pas avec la valeur famille. Avec ce schéma, Jean-Marie Le Pen est parvenu en quelques décennies à incarner à lui seul l’extrême droite française, ne faisant qu’une bouchée des chapelles et groupuscules renvoyés à leurs grenouillages.

Coup de fortune

Un peu plus de quatre décennies après la fondation du Front national, en 1972, Jean-Marie Le Pen a fait du parti une affaire de famille. Le vieux briscard, né à La Trinité-sur-Mer en 1928, a réussi à rester, contre vents et marées, à la tête du front jusqu'en 2011. Mieux, il a placé ses filles, gendres et en 2012, une petite-fille, Marion Maréchal-Le Pen, dans les instances du parti. Avec comme coup de maître en 2011, la transmission de l’« affaire familiale » à son clone édulcoré, sa fille chérie entre toutes, Marine.

Jean-Marie Le Pen a perdu son oeil gauche suite à un décollement de la rétine, à l'époque il porte un «bandeau», à Paris, le 1er janvier 1975.
Jean-Marie Le Pen a perdu son oeil gauche suite à un décollement de la rétine, à l'époque il porte un «bandeau», à Paris, le 1er janvier 1975. Keystone/Getty Images

Tout ce petit monde, Jean-Marie, sa femme Jany, son ex-épouse Pierrette, ses filles Yann et Marine (à l’exception de l’aînée Marie-Caroline) et leurs compagnons, ses petits-enfants, ont vécu dans la vaste propriété paternelle de Montretout à Saint-Cloud, à un jet de pierre de Paris.

Un bien beau domaine d’ailleurs, édifié par Napoléon III, dont Jean-Marie Le Pen hérite en 1976 d’un certain Hubert Lambert, lui-même héritier d’une belle fortune provenant des Ciments Lambert. L’homme, grand admirateur des idées nationalistes portées par son ami Jean-Marie, a la bonne idée de mourir à 42 ans. Les circonstances qui font du fondateur du Front national le bénéficiaire de 30 millions de francs n’ont jamais été bien claires ; un procès intenté par un cousin Lambert à Jean-Marie Le Pen tourne court, les deux hommes préférant négocier.

Ce coup de fortune inespérée donne des ailes à Le Pen qui détient enfin les moyens de ses ambitions. Car jusque-là, ce fils de marin-pêcheur et d’une couturière, devenu pupille de la nation en 1942 lorsque son père est victime d’une mine allemande, ne roule pas sur l’or. Désargenté, Jean (il ne s’appellera Jean-Marie qu’en 1956) exercera plusieurs métiers (marin-pêcheur, mineur de fond, métreur…) avant d’entamer des études de droit et de sciences politiques à Paris où il vend à la criée l’Action française ou Aspects de la France. Des activités qui ne l’empêchent pas de partir en goguette et de faire le coup de poing à l’occasion. Le cœur déjà bien accroché à droite, il s’engage dans l’armée et rejoint dès 1954 l’Indochine puis de fin 1956 à avril 1957, l’Algérie.

L’Algérie et la torture

Entre-temps il sera élu député en 1956, porté par la puissante vague poujadiste ; il a 27 ans. Lieutenant dans les paras en Algérie, il se retrouve au cœur de la bataille d’Alger. Plus tard, dans les années 1980, le passé algérien du lieutenant Le Pen ressurgit : des témoignages rapportent qu’il aurait torturé des Algériens lors de sa mission comme officier de renseignement. Interrogé en 1962 par le journal Combat, Jean-Marie Le Pen admet : « Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire », déclare-t-il alors. Il demande bien un droit de réponse à la suite de l’article du journal, mais l’ambiguïté de ses propos « méthodes de contrainte » au lieu de torture, ne parvient pas à effacer sa première déclaration.

Lorsque cette question de la torture refait surface vingt ans plus tard, pour l’ancien soldat devenu président du Front national, plus question d’assumer. Il se débattra comme un beau diable, multipliant les actions en justice contre tous ceux qui l’accusent d’avoir pratiqué la torture en Algérie. Et ils sont nombreux, ceux qui affirment avoir été torturés par Jean-Marie Le Pen ou l’avoir vu torturer. Par deux fois, en 1989 et en 1996, il obtient des jugements favorables mais en 2000, la Cour de Cassation donne raison à Pierre Vidal-Naquet justifiant l’usage du mot de « tortionnaire » qu’il emploie dans ses mémoires à l’encontre de Jean-Marie Le Pen.

Le « menhir »

Mais, celui dont on a toujours dit qu’il faisait de la politique avant tout pour « emmerder » l’oligarchie, tisse petit à petit sa toile avec l’aide de François Mitterrand, qui lui fait la courte échelle notamment en instaurant la proportionnelle pour les législatives de 1986. Bandeau sur l’œil gauche dans les années 1970 – à la suite d'une maladresse lors de l'installation d'un chapiteau avant un meeting de Jean-Louis Tixier-Vignancourt, il en a perdu l'usage en 1965 à cause d'un décollement de la rétine – , il parle haut et fort, distillant ses thèmes de prédilection que sont les « dangers » de l’immigration et son corollaire, la préférence nationale.

Jean-Marie Le Pen use d’un français châtié, même l’imparfait du subjonctif ne le rebute point, une distinction qui plaît à ses partisans. Il propage des idées de haine et d’exclusion avec un langage de milord ! Ses propos antisémites, racistes et négationnistes lui vaudront une flopée de condamnations : 26 en quarante ans. Il est omniprésent sur la scène politique et médiatique française depuis près d’un demi-siècle, quand pour sa cinquième campagne présidentielle, en 2002, il arrive enfin au pied des marches de l’Élysée, en se hissant au second tour face à Jacques Chirac. Ce que d’aucuns nommeront un accident de l’Histoire, tourne court : Le Pen culmine à presque 18 %, Chirac empoche 82 %. Malgré tout, c’est l’heure de gloire, inespérée. Il ne renouvellera pas l’exploit en 2007 lors de sa dernière campagne présidentielle : le doyen des candidats est en quatrième place à 10,4%...

Si Jean-Marie Le Pen se revendique « bleu-blanc-rouge », il n’a jamais négligé pour autant ses relations hors de l’Hexagone avec les « partis frères ». Mais sans jamais renier son goût affirmé pour une certaine provocation. Ainsi en 1990, lors de la première guerre du Golfe, seul contre tous, il se rend en Irak pour rencontrer Saddam Hussein qu’il assure de son soutien ; il prétendra avoir obtenu la libération de 55 otages français. En 2012, Jean-Marie Le Pen reconnaîtra avoir rencontré, sans préciser la date, Radovan Karadzic, l’ancien chef politique des Serbes de Bosnie, alors que ce dernier était recherché par la justice internationale : « Je rencontre tout le monde moi, je n’ai pas peur » avait-il revendiqué de sa voix de stentor.

Exclu du parti

Lors du traditionnel défilé du 1er mai 2015 du FN, Jean-Marie Le Pen et sa fille se sont superbement ignorés.
Lors du traditionnel défilé du 1er mai 2015 du FN, Jean-Marie Le Pen et sa fille se sont superbement ignorés. REUTERS/Philippe Wojazer

Le « menhir » comme on l’appelait parfois, a conduit sa succession fort habilement, verrouillant tout, de façon à ce que l’œuvre de sa vie soit transmise à Marine Le Pen, sa fille. Ainsi, la boucle était bouclée, l’affaire restait entre soi. Mais alors que Marine Le Pen s'est toujours escrimée à appliquer un vernis de respectabilité au Front national, son président d'honneur de père a toujours pris un malin plaisir à raviver les vieux fondamentaux du parti.

Les chambres à gaz nazies sont un « détail de l'histoire » a-t-il ainsi répété en avril 2015, au grand dam de sa fille, comme il l'avait déjà clamé en 1987. On ne se refait pas. Mais cette fois la provocation ne passe pas : la direction du Front décide d'écarter son fondateur. Interdit de mener une ultime campagne pour les régionales de décembre 2015 en Provence-Alpes-Côte d'Azur, le FN lui préférera sa petite-fille, Marion Maréchal. Mis sur la touche, le fondateur du parti porte son regard au loin et annonce alors qu'il ne votera pas pour Marine à la présidentielle de 2017.

Cette défiance n'empêchera cependant pas celle-ci d'atteindre le second tour de l'élection présidentielle, battue par Emmanuel Macron, avec un score bien meilleur que son père face à Jacques Chirac en 2002 (66,10 % contre 33,90% des suffrages). Pour Jean-Marie Le Pen, le temps est passé, il a beau se battre, la rupture est consommée. Marine est devenue la patronne et elle reste sourde aux appels paternels pour l'inciter à enterrer la hache de guerre. Isolé, le patriarche est touché au coeur. « La bête est solide », crâne-t-il, mais il ne se relèvera pas de ce coup porté par ceux qui lui étaient les plus chers.

Après avoir créé, sans grand succès, un nouveau parti dénommé les Comités Jeanne le 22 mars 2016 (une référence à Jeanne d'Arc, son héroïne préférée), il est officiellement exclu du FN le 17 novembre de la même année, son appel devant la Justice ayant été rejeté. Il se voit même déchu du titre de président d'honneur du parti qu'il a fondé, le 11 mars 2018. Quelques jours auparavant, le 28 février, il avait publié Fils de la Nation, le premier tome de ses mémoires, un succès de librairie. D'abord tiré à 50 000 exemplaires avant d'être réédité à 100 000 exemplaires, l'ouvrage avait même été épuisé avant sa mise en vente, preuve du goût des Français pour les personnages sulfureux et controversés.

Au lendemain du XVIe congrès du Front national, tenu début juin 2018 et qui consacra le changement de nom du parti en un « Rassemblement national », Jean-Marie Le Pen s'employa à dire tout le mal qu'il pensait de cette nouvelle appellation qu'il qualifia de « véritable assassinat politique ». « Le FN a mené bataille (...) comme un brise-glace dans l'Arctique pendant des années et des années. (...) C'est plus qu'une appellation, c'est plus qu'un groupement, c'est une âme, c'est une histoire, c'est un passé. Et faire fi de tout cela me paraît désastreux ». Prévenant au passage qu'il n'adhérerait « certainement pas » au Rassemblement national, l'ex-chef frontiste n'excluait pas la possibilité de reprendre le nom de Front national à son compte.

Fin de la bataille familiale

La guerre familiale se conclut à l'été 2018 par une réconciliation médiatique, multiples articles dans Paris Match et photo « historique » à l'appui. À 90 ans, Jean-Marie Le Pen y montre qu'il sait toujours aussi bien utiliser les médias à son avantage, et à celui de sa famille politique.

Après avoir siégé 34 ans au Parlement européen, entre 1984 et 2019 (hormis un interlude de 2003 à 2004 en raison de sa peine d'inéligibilité), il quitte le bâtiment Louise-Weiss en juillet 2019. Soucieux d’inscrire son parcours politique dans l’Histoire, il crée l’Institut Jean-Marie Le Pen en août 2020 afin de mettre à disposition du grand public les archives retraçant son parcours politique. Victime d’un malaise cardiaque au printemps 2023, il décide d’un commun accord avec sa fille Marine, de se retirer du débat public et de ne plus recevoir la presse.

Début avril 2024, le « menhir » alors âgé de 95 ans est placé « sous régime de protection juridique », une disposition civile, comparable à une tutelle, activée sur demande de la famille par la justice, après une expertise médicale constatant l'inaptitude de Jean-Marie Le Pen. Ses trois filles - Marie-Caroline, Yann et Marine Le Pen – deviennent ses mandataires, ce qui leur permet de réaliser divers actes au nom de leur père, seules ou de concert. Un statut juridique qui a remis en question sa capacité à comparaître à son procès dans l'affaire des assistants d'eurodéputés, permettant à Jean-Marie Le Pen de ne pas répondre des faits de détournements de fonds européens dont le parti est soupçonné. Son cas a été « disjoint » après qu'une expertise médicale avait constaté « une profonde détérioration » de son état physique et psychique, estimant qu'il n'était ni en mesure « d'être présent », ni de « préparer sa défense ». C’est au cours de ce procès, le mercredi 5 novembre 2024, que Marine Le Pen avait annoncé l’hospitalisation récente de son père pour des « analyses ». Il avait ensuite été admis dans une structure à Garches, à l'ouest de Paris, non loin de son domicile de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).

Source RFI

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