Ce samedi 7 décembre, près de 18,8 millions des quelque 34 millions de Ghanéens sont appelés aux urnes pour élire leur président et leurs parlementaires. Un double scrutin dans un climat de crise économique et de tensions politiques et sociales. Explications.
« Élections 2024 – votre vote, votre avenir. » C’est le slogan de la Commission électorale du Ghana. Son but : inciter les près de 18,8 millions de personnes inscrites sur les listes à se rendre aux urnes ce 7 décembre, date du premier tour des élections générales - un deuxième tour aura lieu, si nécessaire, dans les 21 jours suivants.
Ce double scrutin va permettre de renouveler le Parlement. Mais il va aussi et surtout marquer la fin du deuxième et dernier mandat de Nana Akufo-Addo (2017-2024), 80 ans, à la tête de cet État riche en matières premières (cacao, or, pétrole) et considéré comme un modèle de stabilité politique en Afrique de l'Ouest bien qu'englué dans une profonde crise économique.
Deux favoris habitués du pouvoir
Pour lui succéder, 12 candidatures ont été validées*. Mais dans un pays qui, depuis la transition démocratique de 1992, a été dirigé alternativement par le New Patriotic Party (NPP) et le National Democratic Congres (NDC), le suspense semble limité à la question suivante : qui de Mahamudu Bawumia, vice-président d’Akufo-Addo depuis 2017 et candidat du parti au pouvoir (NPP), ou de John Mahama (NDC), un ex-président (2012-2017) qui veut retrouver son poste, sera aux commandes durant les quatre prochaines années ?
D’un côté, on trouve un économiste chevronné de 61 ans : ce dernier prône la numérisation des activités pour sortir le Ghana de l'impasse mais son gouvernement s'est révélé impuissant face au marasme qui dure depuis cinq ans. De l’autre, un vieux routier de la politique de 66 ans : John Mahama promet de « ramener le pays à son état d'avant » Akufo-Addo mais son propre mandat a été marqué par des problèmes financiers et des affaires de corruptions.
« Les deux grands partis peuvent toujours compter sur des millions de partisans »
Dans ce contexte, les deux sexagénaires peuvent-ils drainer les foules vers les isoloirs ? Le taux de participation aux élections présidentielle et parlementaires avait été de 79% en 2020 et en 2012 et de 69% en 2016.
« Il est clair qu'après deux alternances, les Ghanéens sont un peu déçus par les deux principaux partis politiques, principalement parce qu'ils n'ont pas été en mesure de remplir leurs missions, notamment en matière de gestion de l'économie sur des questions telles que la création d'emplois, la réduction des inégalités ou le maintien de prix bas, souligne Lionel Ossé Éssima, analyste en recherche politique pour l’observatoire CDD-Ghana, en s'appuyant sur les données de l'institut de sondages Afrobarometer. Cependant, même si les deux partis n’ont pas été en mesure de tenir leurs promesses, le paysage politique ghanéen est tellement polarisé entre le NDC et le NPP que ces deux partis peuvent toujours compter sur des millions de partisans à travers le pays. À cela s'ajoute le fait que les petites formations politiques ne semblent pas être bien organisées ou ne disposent pas des mêmes ressources que les deux "monstres" pour mobiliser les gens à travers le pays. »
Les jeunes, facteur X du scrutin ?
Les rares autres candidats ayant émergé ces derniers mois (Nana Kwame Bediako, Alan Kyerematen...) semblent en effet partis pour récolter des miettes. Les derniers sondages prédisent par ailleurs un résultat serré entre Bawumia et Mahama.
Dans ces conditions, pour départager les deux favoris, le vote des jeunes s’annonce prépondérant, dans un pays où 56% de la population a moins de 25 ans et où l’âge médian est de 21 ans.
John Osae-Kwapong, directeur de projet au centre de réflexions The Democracy Project, pense justement que cette tranche d'âge sera au rendez-vous, le 7 décembre : « Selon les données empiriques disponibles les plus récentes, publiées en octobre, sur l’abstention, 19% des 18-25 ans indiquent qu'ils ne voteront pas. Huit sur dix indiquent qu'ils voteront. C'est un bon chiffre pour affirmer que les plus jeunes électeurs manifestent un réel intérêt pour ces élections. Si l’on en juge également par les données historiques, ce groupe démographique a généralement manifesté de l’intérêt pour les scrutins. »
En revanche, le chercheur peine à savoir si les jeunes peuvent influer sur le débat public et sur la campagne : « Le poids des jeunes dans nos espaces politiques est assez difficile à évaluer, principalement parce que l’on n’observe pas d’efforts de mobilisation et d’action collective de la part des jeunes pour poursuivre des objectifs politiques clés. Les deux partis politiques [majeurs] disposent d’ailes de jeunesse et de réseaux au sein de nos institutions supérieures, mais leurs activités sont généralement conçues pour soutenir les partis politiques. »
« Personne ne fait campagne contre la dégradation de nos rivières »
Ces dernières années, des mouvements de contestation ont pourtant en partie été portés par des jeunes et par la société civile, comme #FixTheCountry, qui réclame depuis 2021 davantage de justice sociale, de transparence et une meilleure gouvernance.
Ces derniers mois, c’est le débat sur la pollution des eaux engendrée par l’orpaillage illégal – le « galamsey » – qui a réémergé. Des milliers de Ghanéens ont ainsi défilé dans les rues pour réclamer une régulation drastique de l'exploitation de l'or. Un combat environnemental auquel se sont jointes des organisations syndicales et religieuses. Mais cette revendication a trouvé une réponse limitée de la part du gouvernement.
Un climat de gronde social et écologique auquel la présidentielle et les législatives du 7 décembre ne répondront pas, affirme de son côté le musicien vedette Wanlov The Kubolor, également connu pour son engagement contre l'homophobie. « Personne ne fait campagne pour arrêter ce qui arrive à nos rivières. C'est ce que faisait le NPP, la formation de l'actuel président, il y a huit ans, en déclarant qu'il allait empêcher le NDC de mener ses activités minières illégales. Et il est juste venu prendre le relais et maintenant toutes nos rivières sont foutues, s'agace le chanteur de 44 ans. Je ne pense pas que quelque chose ait changé. Le parti au pouvoir veut poursuivre la corruption. Et le NDC veut prendre le relais. Tout le monde veut juste continuer. Je ne vois aucun espoir. »
« Des années difficiles nous attendent encore »
Les considérations environnementales sont, de fait, reléguées au second plan par la débâcle économique du pays : celui-ci a établi 18 accords avec le Fonds monétaire international (FMI) depuis 1957, il pointe au 145e rang (sur 193) de l’Indice de développement humain, près d’un quart des Ghanéens souffre de pauvreté, l’inflation sur les prix à la consommation est encore de 22% (54% en 2022) et le taux de chômage est de plus de 14% (près de 29% chez les 15-24 ans). « Je pense que notre situation a empiré depuis 2020 avec la pandémie de Covid-19 et le conflit Russie-Ukraine, abonde Godfred Bokpin, professeur d’économie et de finances à l’Université du Ghana. Les choses se sont généralement détériorées pour les Ghanéens : le coût de la vie, le chômage... La pauvreté a augmenté, les inégalités également ». Une situation délicate malgré les importantes ressources du Ghana, deuxième producteur mondial de cacao et sixième d'or.
En cause, notamment, une dette extérieure qui, malgré des restructurations, représente encore 83% du PIB ghanéen. Godfred Bokpin poursuit : « Quel que soit le parti qui remporte les élections, notre économie présente des problèmes fondamentaux et des faiblesses. Je pense donc toujours que des années difficiles nous attendent. »
Une conclusion qui contraste avec celle du FMI. L'institution financière, qui met en avant « des progrès notables en matière de restructuration de la dette » a débloqué ce 2 décembre 2024 une nouvelle tranche d'aide (360 millions de dollars) sur les 3 milliards promis en mai 2023.
« Les élections les plus importantes de l'histoire récente du Ghana »
Malgré toutes ces vicissitudes et le peu de perspectives réjouissantes, Bright Ackwerh, artiste critique des autorités, ira voter samedi. « Les élections du 7 décembre au Ghana sont en fait les élections les plus importantes de son histoire récente, lance celui qui caricature les élites avec des dessins caustiques. Sans exagération, pour beaucoup de gens, cela ressemble en fait à 1957 [année de l'indépendance, NDLR]. Nous luttons à nouveau pour nous libérer d'une sorte de domination inhumaine. Mais cette fois, c'est la domination des politiciens élus et de leurs amis et familles qui ont réussi à s'emparer de l'État et de tout ce qu’il a de bien à offrir. »
Bright Ackwerh conclut : « L’intérêt qui transparait dans les sondages semble faible parce que les précédentes élections portaient également la promesse de nous sortir de situations pourries et qu'elles ont échouées. »
Source RFI